XVII
LA BATAILLE

On aurait pu croire que l’île Fougeaux avait rétréci pendant la nuit. Lorsque la première lueur de l’aube filtra, il n’en restait plus qu’une minuscule barre de sable à tribord avant.

Bolitho reposa sa lunette, et l’île disparut dans le noir. Dans moins d’une heure, il ferait grand jour. Il reprit ses allées et venues sur le tillac. Préparer le navire au combat n’avait pas été trop difficile ; cela s’était fait comme naturellement au fil des quarts, la routine.

Les matelots connaissaient par cœur chaque recoin, chaque pied de mât, et bien peu de tâches exigeaient la lumière du jour. Dumaresq y avait pensé, de même qu’il préparait avec un soin méticuleux chacun de ses plans. Il voulait contraindre ses hommes à considérer ce combat comme inévitable, à admettre que tous ne parviendraient pas à bon port. Il y avait une solution, elle était portée sur les cartes. Quant à la seule autre issue, elle était simple : deux mille brasses plus bas, droit vers le fond.

Dumaresq voulait des hommes aussi reposés que possible, à qui serait épargnée la tension que cause l’arrivée inopinée de l’ennemi.

Palliser apparut sur la dunette. Coup d’œil au compas, coup d’œil aux voiles.

— Je suis sûr que la relève a pris son déjeuner…

— Bien entendu, monsieur, lui répondit Bolitho, et j’ai ordonné aux cuistots d’éteindre les feux dès qu’ils auraient terminé.

Palliser prit la lunette des mains de l’aspirant Henderson qu’on avait affecté au quart de l’aube.

L’aspirant Cowdroy avait pris le quart de nuit. Henderson et lui étaient tous deux candidats à une promotion, mais ils pourraient fort bien se retrouver lieutenants avant que les coqs eussent rallumé leurs feux.

Palliser examinait l’île dans le détail.

— Quel spectacle ! fit-il enfin.

Il tendit la lunette à Henderson.

— Allez, montez donc là-haut, et ouvrez l’œil. Je veux être prévenu dès que Garrick sortira de la passe.

Bolitho regarda les deux aspirants grimper dans les enfléchures. Les boscos avaient déjà frappé des chaînes sur les vergues, disposé palans et drisses de rechange en prévision du combat.

— Vous croyez que c’est pour aujourd’hui, monsieur ?

Palliser eut un sourire amer.

— Le capitaine en est certain, cela me suffit. Garrick sait bien qu’il joue sa dernière chance de l’emporter avant que l’escadre arrive.

Des silhouettes confuses s’activaient sur le pont entre les canons. Quand on voyait toutes ces volées, trempées d’embruns et de rosée, et qui seraient bientôt brûlantes…

Les officiers mariniers discutaient de changements de dernière minute, il leur fallait remplacer les morts et les blessés.

Le lieutenant Colpoys se tenait à la lisse avec ses fusiliers. Des matelots s’activaient à entasser les hamacs dans leurs filets, seule protection de ceux qui se tiendraient sur la dunette au cours du combat. L’endroit était dangereux, c’était sans doute le plus exposé, la cible privilégiée des fusiliers et ; des pierriers.

L’aspirant Jury alla prendre un message qu’on lui tendait à l’échelle de dunette.

— Les feux sont éteints aux cuisines, monsieur.

Il était particulièrement soigné, comme s’il avait voulu se mettre sur son trente et un, et fit un grand sourire à Bolitho.

— Une bien belle journée, monsieur.

Il leva la tête, cherchant des yeux Henderson juché dans le grand mât.

— Nous ne sommes peut-être pas bons à grand-chose, monsieur, mais au moins, nous savons grimper !

Bolitho fixa le jeune insolent : il se revoyait comme il était lui-même un an plus tôt.

— C’est vrai.

Le vent n’était plus qu’une légère brise. Virer de bord lof pour lof exige que les voiles tirent correctement. Du vent, de la toile, voilà ce qui fait le nerf de la frégate.

Rhodes apparut à son tour sur la dunette et observa avec curiosité le petit trait noir que faisait l’île sous le beaupré. Il arborait sa plus belle épée, celle qu’il tenait de son père. Bolitho songea à celle de son propre père, que l’on voyait sur la plupart des portraits de la galerie et qui reviendrait un jour à Hugh. Un jour qui n’était pas si lointain, si son père était mis à la retraite forcée. Puis il détourna lentement le regard de Rhodes et Jury : il avait le vague pressentiment qu’il ne verrait jamais ce jour, mais cela le laissait étrangement indifférent.

— Monsieur Bolitho, allez dire à Mr Timbrell de frapper un cartahu à la grand-vergue, ordonna sèchement Palliser.

Tous le regardaient, interdits.

— Eh bien ?

— Je suis désolé, monsieur, répondit Rhodes d’un ton un peu gêné, mais je pensais qu’un jour comme aujourd’hui…

— Un jour comme aujourd’hui, pour employer vos propres termes, cela ne fera jamais qu’un cadavre de plus !

Bolitho envoya Jury chercher le bosco. Quand on pensait à ce qu’avait commis ce Spillane… Il avait eu tout loisir de communiquer ce qu’il savait à Rio ou à Basse-Terre. Comme le cuisinier du commandant, un écrivain a une certaine liberté de mouvement, qui n’est pas donnée aux autres.

Garrick avait sans doute des indicateurs à peu près partout, y compris à l’Amirauté. Voilà qui expliquait comment ils avaient été suivis dès le début, dès le jour où la Destinée avait pris la mer. Au moment de l’appareillage, Spillane se trouvait comme par miracle sur le quai et il lui avait été facile de comprendre ce qui se passait : il suffisait de lire les affiches des recruteurs.

À présent, tout convergeait, comme les méridiens sur la carte, vers cet endroit où ils se trouvaient. Une croix au bout des relèvements de Gulliver, le point final qui leur avait été fixé par le destin à leur insu.

Les hommes sur le pont observaient en silence les aides du bosco occupés à passer un gros nœud coulant à la vergue. Tout comme Rhodes, ils trouvaient sans doute cette exécution incongrue. Cela dépassait leur code de l’honneur, leur sentiment de ce qu’est la justice.

— Le capitaine monte, monsieur, fit à voix basse l’un des timoniers.

Dumaresq portait une chemise fraîchement repassée et un magnifique chapeau à ruban doré.

Il salua les officiers et les hommes de quart. Colpoys essayait tant bien que mal de se mettre au garde-à-vous.

— Préservez donc vos forces, vous en aurez besoin !

— Cap au nordet, monsieur, annonça Gulliver. Le vent est encore faiblard.

— Merci, je m’en étais aperçu tout seul.

Il se tourna vers Bolitho.

— Vous ferez convoquer l’équipage quand la cloche aura piqué six coups, afin d’assister à l’exécution. Informez également le capitaine d’armes et le chirurgien, je vous prie.

L’émotion de Bolitho était manifeste, de même que ses efforts désespérés pour la cacher.

— Vous n’avez pas encore appris à dissimuler, vous, hein ? – il tapa du pied. Qu’est-ce qui vous arrive, c’est à cause de cette exécution ?

— Oui monsieur, c’est comme un mauvais présage, une vieille superstition… Je ne saurais pas bien expliquer…

— C’est ce que je vois.

Dumaresq se dirigea lentement vers la lisse.

— Cet homme a essayé de nous trahir, comme il a tenté de causer la perte de Murray et de ceux qui lui faisaient confiance. Murray était un brave matelot, et…

Il se tut pour observer quelques fusiliers qui montaient maladroitement dans la mâture.

— J’aurais bien aimé revoir Murray avant son départ, monsieur.

— Et pourquoi cela ? lui répondit sèchement Dumaresq.

Bolitho fut surpris de cette réaction.

— J’aurais aimé le remercier.

— Ah, c’est cela !

— Ohé du pont, appela Henderson, un bâtiment prend la passe, monsieur !

— Ce n’est pas trop tôt, bougonna Dumaresq en enfonçant son menton dans son col.

— Allez me chercher le Code de justice maritime, ordonna-t-il à Merrett, qui se tenait au pied de l’artimon. Demandez-le à mon domestique. Je veux avoir réglé cette affaire avant le combat.

Il tira un peu sur sa veste pour se donner de l’air.

— Ce porc était fameux, et le vin pas mauvais non plus, je ne connais rien de meilleur pour commencer la journée. Faites monter le prisonnier, fit-il à Bolitho, et j’aimerais voir également le capitaine d’armes, j’ai hâte de voir ce misérable se balancer en l’air !

Le sergent Barmouth disposait ses fusiliers à la poupe ; on siffla pour rassembler les hommes. Escorté du capitaine d’armes et du caporal Dyer, Spillane fit son apparition sur le tillac.

Les marins, déjà tendus à l’idée d’entendre les lugubres battements du tambour, s’écartèrent pour faire un passage au petit groupe, qui fit halte devant la lisse.

— Le prisonnier, monsieur, annonça gravement Poynter.

Bolitho dut se contraindre à regarder Spillane en face. L’homme avait le regard vide. Si maître de soi d’habitude, il était apparemment incapable de supporter l’idée de ce qui allait lui arriver.

Bolitho le revoyait encore arriver dans sa chambre pour lui transmettre le message d’Aurore. Qu’en avait-il rapporté à Garrick, au juste ?

Dumaresq attendit que tous les officiers eussent mis chapeau bas pour commencer :

— Vous savez pourquoi vous êtes ici, Spillane. Si vous aviez été embarqué de force, contre votre volonté, les choses auraient peut-être été différentes. Mais vous vous êtes porté volontaire pour le service du roi, en sachant pertinemment que vous alliez violer votre serment, que vous alliez faire risquer à votre bâtiment et à vos camarades de courir à un désastre assuré. Vous avez trempé dans une conspiration qui menait à un véritable massacre. Mais regardez donc !

Spillane leva lentement les yeux.

— Capitaine d’armes ! ordonna Dumaresq.

Poynter prit le menton du prisonnier et lui tourna de force le visage vers l’avant.

— Ce bâtiment que vous apercevez est commandé par votre maître, Piers Garrick. Regardez-le bien, et demandez-vous si votre trahison en valait la peine !

Mais Spillane ne pouvait détacher les yeux du nœud coulant.

— Ohé du pont !

C’était Henderson, dont la voix habituellement puissante était réduite à un filet, comme s’il craignait d’interrompre le drame qui se déroulait à ses pieds.

Dumaresq leva les yeux.

— Allez, parlez !

— Je vois des cadavres se balancer aux vergues du San Agustin, monsieur !

Dumaresq arracha sa lunette à Jury et se précipita dans les enfléchures.

Quand il fut redescendu, il déclara simplement :

— Ce sont les officiers espagnols, il les a fait pendre en guise d’avertissement.

Mais Bolitho avait surpris autre chose dans ses yeux, une impression fugitive. Dumaresq semblait soulagé. Mais soulagé de quoi ? Que s’attendait-il donc à voir ?

Dumaresq revint à la lisse, et remit son chapeau.

— Faites-moi enlever ce cartahu, monsieur Timbrell. Capitaine d’armes, conduisez le prisonnier dans les fonds. Il attendra de passer en jugement avec les autres.

Spillane s’effondra littéralement, les mains jointes.

— Oh merci, merci, monsieur ! s’écria-t-il. Dieu vous bénisse pour votre bonté !

— Levez-vous, espèce de chien !

Dumaresq le regardait d’un air dégoûté.

— Quand je pense qu’un homme comme Garrick arrive à corrompre les gens avec autant de facilité ! En vous faisant pendre, je ne me serais pas montré meilleur que lui. Mais écoutez-moi bien : vous allez suivre tout ce qui se passera en ce jour, et je doute que vous puissiez subir pire châtiment !

On emmena le prisonnier, et Palliser remarqua amèrement :

— Et dire que si nous coulons, ce salopard sera le premier au fond !

Dumaresq lui donna une grande tape sur l’épaule :

— Vous avez parfaitement raison. Pour le moment, rappelez aux postes de combat, et tâchez donc de gagner deux minutes sur votre meilleur temps !

— Le bâtiment est paré aux postes de combat, monsieur !

Palliser salua le capitaine, les yeux brillants.

— Huit minutes, pas une de plus !

Bolitho se tenait sous la dunette à surveiller ses canonniers. Il se sentait un peu moins tendu.

L’ennemi avait envoyé davantage de toile afin de parer l’île. La Destinée roulait doucement dans la houle et le San Agustin semblait immobile. Allait-il virer, venir sur eux ? Il pouvait tenter d’ouvrir le feu de ses canons de chasse en espérant un coup de chance.

L’aspirant Henderson jouait toujours les anachorètes sur son perchoir. Il avait repéré deux autres voiles qui sortaient du lagon. La goélette à hunier était l’une des deux : comment Dumaresq savait-il donc que Garrick ne se trouvait pas à son bord, mais sur le gros vaisseau ? Après tout, les deux hommes étaient peut-être trop semblables : ils ne se voyaient pas dans le rôle du spectateur, ils voulaient remporter une victoire nette et sans bavure.

Little arpentait lentement la rangée des douze-livres alignés à tribord, vérifiant ici un palan, là s’assurant que le pont avait été correctement sablé.

Stockdale se tenait près de sa pièce, dominant les canonniers de sa carrure gigantesque. Il soupesa un boulet, qu’il remit à sa place dans la baille avant d’en choisir soigneusement un autre. Bolitho avait souvent vu les chefs de pièce se comporter de la sorte, pour s’assurer que le premier coup serait parfait. Ensuite, chaque équipe agissait à sa guise, et le diable menait le bal.

Bolitho entendit la voix de Gulliver :

— Nous avons l’avantage du vent, monsieur. Nous pouvons même nous permettre de réduire un peu la toile si l’ennemi abat.

Il parlait sans doute plus pour calmer son appréhension, voire pour éprouver la réaction du capitaine, que pour donner son opinion. Mais Dumaresq restait silencieux, observant l’adversaire, jetant un coup d’œil intermittent à la flamme ou à la vague d’étrave à peine esquissée.

À l’arrière, Rhodes était en grande conversation avec Cowdroy et quelques-uns de ses chefs de pièce. Cette attente n’en finissait pas ; il avait beau s’y être préparé, il se dit qu’il ne s’y habituerait décidément jamais.

— Les goélettes ont abattu un brin, monsieur !

— Elles se sauvent comme des chacals ! grommela Dumaresq.

Bolitho grimpa sur le passavant au-dessus de sa batterie. Vu de là-haut, les branles serrés dans leurs filets n’offraient qu’une bien maigre protection.

Il y avait pire : les chantiers, qui ne contenaient pratiquement plus aucune embarcation. La yole et un canot étaient à la remorque, tout le reste ayant été abandonné à la dérive. Pendant le combat, les éclisses de bois qui volaient dans tous les sens constituaient le plus gros risque, et les canots faisaient toujours une cible assez tentante. Les voir ainsi à l’eau soulignait davantage les périls auxquels ils s’exposaient.

— Monsieur, ils ont jeté les cadavres à la mer ! héla Henderson.

On le sentait tendu.

— Comme tant d’autres, fit Dumaresq à son second. Qu’il aille au diable !

— C’est peut-être qu’il essaye de vous mettre en colère, monsieur, vous aussi ?

— Il essaierait de me provoquer ?

La colère du capitaine tomba instantanément.

— Vous avez peut-être raison. Mais bon sang, monsieur Palliser, vous devriez siéger au parlement plutôt que de sévir dans la marine !

Les mains croisées dans le dos, le chapeau rabattu sur les yeux comme il l’avait vu faire, à Bolitho, l’aspirant Jury observait lui aussi le vaisseau.

— Vous croyez qu’ils vont se rapprocher, monsieur ? demanda-t-il à son lieutenant.

— Sans doute, ils ont l’avantage du nombre. D’après ce que nous avons pu voir sur l’île, ils sont à dix contre un.

Jury avait l’air tout dépité, et il ajouta doucement :

— Mais rassurez-vous, le capitaine va nous balayer tout ça.

Dumaresq se tenait toujours à la lisse de dunette et ne manifestait aucune émotion apparente. Il devait tourner et retourner dans sa tête tous les plans possibles. Sa voix était toujours aussi placide.

— Les deux goélettes pourraient bien être dangereuses, reprit Jury.

— La goélette à hunier, peut-être. Mais l’autre est trop petite pour courir le risque d’un combat rapproché.

Bolitho repensait à ce qui se serait passé sans leur débarquement désespéré. Et dire que c’était hier… Ils auraient dû faire face à six goélettes au lieu de deux ; quant au San Agustin, il aurait pu compléter son armement en embarquant des pièces prélevées dans les batteries de la colline. Désormais, quoi qu’il advînt, leur prise était en route pour Antigua, et l’amiral recevrait à coup sûr les dépêches de Dumaresq. Il serait peut-être trop tard pour eux, mais ils avaient en tout cas l’assurance que Garrick resterait un homme traqué pour le restant de ses jours.

Le ciel était si clair… Il ne faisait pas encore trop chaud, et la mer écumeuse semblait une invitation au rafraîchissement. Il essaya de chasser de sa pensée cette vision qui l’avait effleuré sur une autre plage : il se baignait avec elle, et l’image promettait un bonheur éternel.

— Ils vont tenter de nous démâter avant de passer à l’abordage, déclara Dumaresq. Il est assez probable que la plus grosse des goélettes ait embarqué de l’artillerie. Il faut que chacun de nos coups porte. Souvenez-vous que la plupart de leurs marins et de leurs canonniers sont espagnols, ils sont peut-être terrifiés par Garrick, mais ils n’ont sûrement pas plus envie de se faire réduire en bouillie par nos soins !

Le bruit du canon. Bolitho se retourna : le San Agustin crachait sa bordée tribord. Il eut le temps de voir les longues flammes orange, l’épais nuage de fumée qui lui cacha un moment le bâtiment et une partie de l’île.

La surface de l’eau fumait sous les impacts ; de grandes gerbes s’élevèrent comme si les coups venaient du fond et non du grand bâtiment à la croix écarlate.

— Loupé, nota sobrement Stockdale.

Des matelots tendaient le poing à l’ennemi, qui n’avait aucune chance de les voir, à trois milles de distance.

Rhodes déambulait à l’arrière. Sa magnifique épée jurait étrangement avec sa vieille vareuse de mer élimée.

— Ils font ça uniquement pour occuper leurs hommes, Dick, tu ne crois pas ?

Bolitho acquiesça. Il avait sans doute raison, mais il restait quelque chose de menaçant dans l’attitude de l’espagnol, que soulignait encore la somptuosité de ses décorations, aveuglante, même de loin.

— Si seulement le vent pouvait se lever !… soupira-t-il.

— Et si seulement nous étions à Plymouth !… répliqua Rhodes en haussant les épaules.

Une autre bordée du vaisseau espagnol, quelques boulets passèrent en ricochant et allèrent se perdre Dieu sait où.

Les hommes poussaient des lazzis, mais quelques-uns parmi les plus anciens des chefs de pièce paraissaient soucieux. Les boulets tombaient trop court, le pointage était médiocre, mais les deux bâtiments se rapprochaient et la situation risquait de devenir beaucoup plus sérieuse.

Il imaginait Bulkley et ses aides dans l’entrepont obscur, parmi les instruments de chirurgie qui brillent vaguement, le cognac pour assommer les blessés, la lanière de cuir destinée à les empêcher de se couper la langue entre leurs dents tandis que la scie fait son œuvre.

Et Spillane, aux fers dans le tréfonds de la cale, à quoi pensait-il ? Quel effet lui faisait le grondement des coups transmis par la charpente ?

— Parés sur le pont ! cria Palliser ! Aux palans de retraite, chargez !

Voilà, l’heure était venue. Les équipes s’affairaient aux palans pour rentrer les pièces. On passait les charges de poudre, les chargeurs les enfournaient dans la gueule béante. Bolitho observait plus particulièrement celui qui était tout près de lui : deux grosses tapes sur la charge pour l’enfoncer à bloc, la bourre ensuite, puis le gros boulet noir et luisant, nouvelle bourre, au cas où un coup de roulis ferait basculer la pièce et enverrait le boulet à la mer.

Quand il releva les yeux, la distance était encore tombée.

— Parés sur le pont !

Tous les chefs firent signe de la main : ils étaient prêts.

— A ouvrir les sabords ! ordonna Palliser.

Et il attendit, comptant les secondes. Tous les mantelets se levèrent ensemble, comme un Argos qui aurait ouvert les yeux.

— En batterie !

Le San Agustin lâcha une nouvelle bordée, mais son patron l’avait laissé abattre un peu trop et les coups se perdirent à un bon demi-mille sur bâbord avant.

Rhodes s’activait près de ses pièces, ici donnant des ordres, là plaisantant avec ses hommes, on ne savait trop.

Le San Agustin pointait à bâbord avant et il était difficile d’empêcher les hommes d’aller jeter un coup d’œil de l’autre bord pour voir ce qui s’y passait.

— Monsieur Bolitho, cria Palliser, envoyez quelques-uns de vos canonniers aider l’autre batterie ! Nous allons lâcher deux bordées de bâbord, puis nous abattrons et ce sera votre tour !

Bolitho lui indiqua d’un signe qu’il avait compris.

— Venez sur tribord, ordonna Dumaresq, trois rhumbs !

— Du monde aux bras ! La barre sous le vent !

Toutes voiles faseyantes, la Destinée inclina lentement sa course et le San Agustin défila lentement devant les chefs de pièce accroupis près des affûts.

— Hausse maximum, feu !

Les douze-livres reculèrent violemment dans un énorme nuage de fumée qui leur masquait l’ennemi.

— A nettoyer les lumières, épongez, chargez !

Les chefs de pièce devaient être partout, certains n’hésitant pas devant le coup de poing qui calmerait leurs hommes. Mettre une charge dans une pièce où demeuraient quelques grains de poudre incandescents vous conduisait tout droit à une mort aussi horrible que certaine.

Stockdale pesait de tout son poids sur une brague :

— Allez, les gars, allez, on déhale !

— En batterie !

Palliser avait posé sa lunette sur un hamac pour mieux observer l’ennemi.

— Quand vous voudrez, feu !

Cette fois-ci, la bordée partit en ordre dispersé, chaque chef de pièce prenant son temps pour choisir son moment. Avant même d’avoir pu observer le résultat du tir, les canonniers se précipitèrent aux manœuvres, tandis que Gulliver faisait activer ses timoniers. La Destinée vira lof pour lof et vint serrer le vent au plus près sous l’autre amure.

Bolitho avait la bouche sèche. Sans même s’en rendre compte, il avait tiré l’épée. Lentement mais sûrement, le San Agustin apparut devant les sabords béants.

— Sur la crête, attendez la crête !

Le flanc du San Agustin s’éclaira de longues flammes. Bolitho entendit une nuée de boulets à chaîne voler au-dessus de sa tête. Il eut une pensée pour ce malheureux Henderson perché dans sa hune avec sa lunette et qui serait aux premières loges.

— Feu !

La mer bouillonnait autour du San Agustin, un boulet s’engouffra dans sa grand-voile.

De nouveau, les hommes pesaient sur les anspects, criaient qu’on leur passât charges et boulets, indifférents à tout ce qui n’était pas le service de leur pièce. Bolitho observa le capitaine. Gulliver et Slade à ses côtés, près de l’habitacle, il leur montrait la direction de l’ennemi, les voiles, la fumée qui se dissipait lentement, comme un homme qui maîtrise parfaitement la situation.

La batterie tribord reprit le feu, une pièce après l’autre.

— Paré à changer de cap ! Batterie bâbord, soyez parés ! Monsieur Rhodes, faites charger à double charge !

Bolitho s’écarta pour laisser passer officiers mariniers et matelots qui couraient dans tous les sens. Le long et pénible entraînement auquel ils avaient été astreints depuis leur départ de Plymouth portait ses fruits. Même lorsqu’il fallait servir les pièces, la manœuvre du gréement était parfaitement assurée.

Les canons hurlèrent dans le bruit des départs, mais le bruit était cette fois différent, comme une plainte aiguë : les charges doubles.

Bolitho s’essuya le visage d’un revers de main. Il avait l’impression de subir le soleil depuis des heures. En fait, on n’avait pas encore piqué huit coups, et cela faisait moins d’une heure que Spillane avait été réexpédié à fond de cale.

Dumaresq courait un risque indéniable en bourrant ainsi ses pièces. Mais Bolitho avait vu les deux goélettes gagner dans le vent, comme pour prendre la Destinée à revers. Il fallait donc toucher le San Agustin, et le frapper fort, s’ils voulaient gagner un peu de répit.

— Allez me chercher Vallance ! Et plus vite que ça !

Bolitho ferma les yeux en entendant un fracas épouvantable. De l’eau s’engouffrait dans la descente de l’autre bord, puis la coque vibra comme sous l’effet d’un gigantesque coup de poing. Ils venaient d’encaisser au moins deux coups, peut-être sous la flottaison.

Le bosco criait des ordres, ses hommes descendaient pour aller examiner les avaries et aveugler d’éventuelles voies d’eau.

Vallance arriva enfin sur le pont, cillant comme une chouette en plein jour. Il était visiblement mécontent d’avoir été extrait de sa sainte-barbe, même si c’était le capitaine qui l’avait fait appeler.

— Ah vous voilà, monsieur Vallance !

Le visage de Dumaresq s’éclaira d’un large sourire.

— Je crois que vous avez été dans le temps le meilleur chef de pièce de toute l’escadre de la Manche, c’est exact ?

Vallance traînait des pieds sur le pont dans ces chaussons à semelle de feutre comme en portent tous ceux qui ont à travailler dans une soute à poudre.

— C’est diable vrai, monsieur, fit-il, visiblement heureux qu’on se souvînt encore de ses exploits passés.

— Parfait, je désire que vous preniez personnellement la direction des pièces de chasse et que vous me débarrassiez de cette goélette à hunier que vous voyez là-bas. Je vais abattre en conséquence – il baissa la voix : Faites vite.

Vallance appela d’un geste deux des chefs de pièce de Bolitho sans même se donner la peine de demander la permission. Dans sa spécialité, il faisait partie des meilleurs. L’homme était du genre taciturne et n’avait pas besoin que Dumaresq lui expliquât les choses dans le détail : lorsque la Destinée abattrait pour engager les goélettes, elle présenterait le flanc à la bordée du San Agustin.

La frégate possédait deux neuf-livres en guise de pièces de chasse. Ces pièces ne sont pas les plus puissantes en service dans l’artillerie navale, mais on les considère souvent comme les plus précises qui soient.

— Feu !

Et les hommes de Rhodes épongeaient encore, épongeaient sans relâche. La sueur dessinait des rigoles sur les visages noircis par la poudre, comme des marques de fouet.

La portée était tombée à moins de deux milles. Plusieurs trous apparurent dans le grand hunier de l’espagnol, et quelques marins couraient dans tous les sens pour remplacer le gréement avarié.

Vallance était à l’avant ; Bolitho pouvait apercevoir sa tête grisonnante qui dominait le neuf-livres bâbord. Il se souvint que lui aussi, dans le temps, avait été chef de pièce.

Dumaresq profita d’une brève interruption des tirs.

— Quand vous serez prêt, monsieur Palliser. Je compte venir de cinq rhumbs sur bâbord – il tapa ses poings l’un contre l’autre : Si seulement ce vent voulait forcir ! Etablissez-moi donc les huniers !

La Destinée abattit et, en quelques secondes, les deux goélettes furent droit devant.

Le premier neuf-livres tira, puis le second.

La goélette à hunier s’était figée sur place, comme posée soudain sur un récif. Misaine, voiles, espars, tout s’écroulait comme un château de cartes sur le gaillard d’avant.

— Tiens bon comme ça, revenez au cap, monsieur Palliser, cria Dumaresq.

Bolitho savait que la seconde goélette n’aurait pas trop envie de partager le sort de sa conserve. Vallance avait été magnifique, quelle leçon de tir ! Ses hommes se laissaient glisser le long des haubans après avoir envoyé de la toile. Comment allait réagir l’ennemi lorsque la fumée se serait dissipée et qu’il verrait ce que la Destinée venait de faire si facilement ? Cela ne changeait guère la disproportion des forces, mais redonnait courage aux marins anglais, à un moment où ils en avaient bien besoin.

— En route, cap au nordet, monsieur !

— C’est notre tour ! cria Bolitho.

Encore tout étourdis par le fracas des pièces, ses hommes lui firent de grands sourires réjouis. Les yeux brillaient.

Tout à coup, Bolitho £ut le sentiment que le pont disparaissait sous ses pieds. Un douze-livres de l’autre bord se coucha sur le flanc, coinçant au passage deux de ses servants qui se mirent à hurler. D’autres essayaient désespérément de se mettre à l’abri ou se tordaient de douleur, touchés par les éclats de bois qui volaient de toute part.

Il entendit Rhodes crier pour tenter de ramener l’ordre, plusieurs pièces ouvrirent encore le feu, mais le coup avait été sévère. Les hommes de Timbrell essayaient encore de pousser débris et morceaux de bois que l’ennemi lâchait une nouvelle bordée.

Impossible de savoir combien de coups firent but cette fois-ci, mais le pont encaissa violemment un choc énorme. Sous le déluge de fer, il entendit voler autour de lui morceaux de bordé, fragments de membrures, éclats de métal. Instinctivement, il essaya de se protéger le visage, puis une grande ombre lui tomba dessus.

Stockdale essayait de le dégager.

— L’artimon, ils ont descendu l’artimon !

Dans un bruit de tonnerre, le mât s’abattit avec ses vergues sur la dunette et la coupée tribord, entraînant avec lui tout le gréement et balayant les hommes.

Bolitho réussit à se remettre debout. À voir l’angle que faisaient ses vergues, l’ennemi manœuvrait, et il tirait toujours. La Destinée avait pris de la bande, l’artimon traînant dans l’eau. Des hommes se débattaient, essayaient de se sortir de ce fouillis, mais le vacarme assourdissant les empêchait d’entendre les ordres.

Dumaresq parvint à la lisse de dunette et prit le chapeau que lui tendait son cuisinier. Après un rapide coup d’œil, il ordonna :

— Envoyez du monde à l’arrière, débarrassez-moi de ce fatras !

Palliser émergea à son tour du chaos comme un spectre. Il se tenait le bras, brisé sans doute, et semblait sur le point de s’évanouir.

— Remuez-vous le train ! hurla Dumaresq. Un autre enseigne dans le grand mât, monsieur Lovelace !

Mais un bosco se précipita dans les enfléchures pour remplacer l’aspirant tombé avec l’artimon. L’aspirant Lovelace, qui aurait eu quatorze ans dans deux semaines, gisait, brisé en deux par un galhauban.

Bolitho comprit soudain qu’il était resté immobile, glacé sur place, pendant tout ce temps. Il agrippa Jury par l’épaule.

— Prenez dix hommes avec vous, allez donner la main au bosco ! – il le secoua doucement : Ça va ?

— Oui monsieur, répondit Jury en souriant.

Et il se précipita dans la fumée, appelant les hommes comme il les trouvait.

— Nous n’avons plus que six pièces de ce bord, murmura Stockdale.

Bolitho savait bien que la Destinée serait ingouvernable tant que l’artimon traînerait à l’eau. En se penchant à la lisse, il aperçut un fusilier qui essayait de rejoindre la hune pour se sortir de l’eau, et un autre qui se noyait, coulé par le filet informe des manœuvres. Il se retourna. Dumaresq, solide comme un roc, donnait des ordres aux timoniers, examinait l’ennemi et faisait en sorte que tout son équipage pût le voir. Un peu honteux, Bolitho se détourna. Il venait de voler un petit secret à son capitaine : ainsi, c’est pour cela qu’il portait ce gilet rouge, pour rester bien en vue. Le gilet était maintenant bizarrement taché, quelque chose dégoulinait sur les mains du cuisinier qui soutenait Dumaresq.

Enjambant difficilement les débris, l’aspirant Cowdroy lui cria :

— Il me faut de l’aide, monsieur !

Il semblait au bord de la panique.

— Débrouillez-vous !

C’était exactement ce que lui avait répondu Dumaresq quand il lui avait parlé de la montre volée : Débrouillez-vous !

On entendait de grands bruits de hache, et le pont se redressa : tout ce qui restait de l’artimon avait fini par se détacher. La frégate avait l’air toute nue.

Le San Agustin était maintenant entre les bossoirs. Il tirait toujours, mais la Destinée avait changé de route et offrait une cible difficile à atteindre. Les boulets s’écrasaient dans l’eau des deux bords. Toute l’artillerie de la frégate était réduite au silence, à l’exception des deux pièces de chasse qui reprirent leur tir.

Un boulet s’écrasa sur la coupée bâbord et détruisit deux pièces supplémentaires, écrasant au passage leurs servants.

Bolitho vit Rhodes tomber, essayer de se relever en prenant appui sur une pièce, avant de se coucher définitivement. Il se précipita, essaya de le tirer à l’abri de la fumée.

Rhodes leva les yeux et réussit à murmurer :

— Notre seigneur et maître a eu ce qu’il voulait, tu sais, Dick – il leva les yeux, fixant le ciel qui oscillait entre les gréements : Le vent, voilà enfin le vent. Mais il est trop tard.

Il leva péniblement la main pour le saisir à l’épaule.

— Fais attention à toi… J’ai toujours su…

Puis ses yeux se figèrent.

Bolitho se releva lentement. Stephen Rhodes était mort, Stephen qui l’avait accueilli à bord, qui prenait la vie comme elle venait, jour après jour.

Il contemplait la mer. Les filets étaient déchirés, les hamacs grêlés de trous. La houle s’était un peu calmée. Les voiles aussi étaient en piteux état, mais, tendues comme des plaques de cuirasse, elles ramenaient vigoureusement la frégate au combat. Ils n’étaient pas vaincus. Rhodes l’avait vu, le vent ; c’était même la dernière chose qu’il eût vue en ce bas monde.

Le San Agustin était tout près, à tribord avant. Des hommes lui tiraient dessus, tout n’était que bruit et fumée, mais il ne ressentait rien. Vu de si près, l’espagnol était moins impressionnant, il paraissait même plus vulnérable. Les coups de la Destinée avaient gravé de sévères marques.

Il entendit la voix de Dumaresq, qui réussissait encore à donner des ordres, en dépit de la douleur.

— Bordée tribord parée, monsieur Bolitho !

Bolitho aperçut l’épée de Rhodes et s’en saisit.

— Parés, et double charge, les gars !

La mitraille balayait le pont comme une nuée de pépites ; çà et là, des hommes tombaient. Mais les rescapés, se traînant comme ils pouvaient, abandonnèrent les pièces de Rhodes à bâbord et se précipitèrent enfin pour exécuter l’ordre. Tandis que la haute étrave dorée du San Agustin s’avançait inexorablement, ils réussirent enfin à charger.

— Dès que vous êtes prêts !

On ne savait plus qui donnait des ordres. Etait-ce Dumaresq, était-ce Palliser, ou lui-même sans s’en rendre compte, rendu fou par la fureur du combat ?

— Feu !

Les pièces au recul, la mitraille balaya l’espagnol de la poupe à la proue.

Les chefs de pièce, Stockdale compris, n’essayèrent même pas de recharger une nouvelle fois. Tous avaient compris.

Le San Agustin dérivait lentement sous le vent, son appareil à gouverner peut-être hors de combat, à moins que ses officiers n’eussent tous été tués par la dernière bordée de la frégate.

Bolitho se dirigea lentement vers l’arrière, puis escalada l’échelle de dunette. Le pont était jonché d’éclats de bois ; les rares hommes encore rassemblés autour des six-livres poussèrent des cris de joie en voyant le gréement de l’ennemi s’effondrer dans un nuage d’étincelles et de fumée.

Dumaresq se tourna vers lui.

— Je crois bien qu’il est en feu.

Gulliver gisait là, mort, ses deux timoniers également. Slade avait pris sa place, comme si elle avait dû lui revenir depuis toujours. Colpoys, sa veste rouge passée sur les épaules comme une cape au-dessus de son bras bandé, surveillait ses hommes appuyés sur leurs fusils. Palliser était assis sur un tonneau, un aide de Bulkley examinait son bras.

Bolitho s’entendit prononcer :

— Et ce trésor va nous échapper, monsieur.

Il y eut une explosion à bord du San Agustin. Des marins sautaient à l’eau et tendaient désespérément le bras pour qu’on leur vînt en aide.

— Eux aussi l’ont perdu, répondit Dumaresq, en contemplant son gilet rouge.

Le nuage de fumée grossissait, et le feu prenait maintenant au pied du grand mât. Garrick n’allait pas tarder à apparaître, à supposer qu’il fût encore vivant.

Bulkley arriva sur le tillac.

— Il faut que je vous examine, monsieur, je vous prie de descendre.

— Il faut ! – Dumaresq grimaça un sourire : Ce n’est pas le mot que j’utiliserais.

Et il s’évanouit dans les bras de son cuisinier.

Après ce qu’ils venaient de vivre, le spectacle était proprement insupportable. Bolitho regarda les aides du chirurgien emporter le capitaine et le descendre avec précaution dans l’entrepont.

Palliser vint le rejoindre à la lisse, pâle comme la mort.

— Nous allons attendre ici que ce bâtiment ait coulé ou explosé.

— Que dois-je faire, Monsieur ?

C’était l’aspirant Henderson qui avait passé tout le combat perché dans le grand mât et avait miraculeusement survécu.

Palliser le regarda.

— Vous allez prendre les fonctions de Mr Bolitho – il hésita en voyant le corps de Rhodes qui gisait près du mât de misaine. Et Mr Bolitho devient second lieutenant.

Une explosion plus forte que toutes celles qui avaient précédé secoua le San Agustin, avec une violence telle que les hunes de grand mât et d’artimon s’effondrèrent dans la fumée. La coque prenait de plus en plus de gîte.

Jury vint rejoindre Bolitho pour observer les derniers soubresauts.

— Est-ce que ça en valait bien la peine, monsieur ?

Bolitho, les yeux perdus, contemplait le spectacle offert par le pont.

Les hommes s’activaient pour réparer les avaries et remettre la frégate à peu près en état. Il y avait mille choses à faire, les blessés à soigner, l’autre goélette dont il fallait s’emparer, les prisonniers à repêcher et à trier pour mettre à part les marins espagnols. Voilà qui représentait une bien lourde charge pour un aussi petit bâtiment, un équipage aussi diminué.

Mais il y avait cette question de Jury, à laquelle il n’avait toujours pas apporté de réponse. Il songeait à tout ce que cette aventure leur avait coûté, mais aussi à tout ce qu’ils avaient appris l’un de l’autre. Et que dirait Dumaresq lorsqu’il aurait repris son service ? La mort est une défaite, et la sienne était inimaginable.

— Vous ne devez pas vous poser ce genre de question, jamais, finit par déclarer Bolitho. J’ai déjà appris un certain nombre de choses, j’en apprendrai d’autres. Le bâtiment passe en premier. Et maintenant, au boulot, sans quoi notre seigneur et maître risque de nous tomber dessus !

Puis il baissa les yeux et vit, étonné, l’épée qu’il tenait toujours à la main.

Rhodes avait sans doute répondu à la question de Jury, bien mieux que lui-même…

 

Le feu de l'action
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